18 octobre 2017...Par manque d'options, je dois accepter une amputation fémorale et à partir de là la vie change simplement parce que maintenant il me faut soit le fauteuil, soit les béquilles ou enfin une prothèse pour marcher, rouler, sauter enfin, vivre quoi.
La question lancinante chez un cycliste qui est blessé est toujours la même : " Dites Docteur, quand vais-je pouvoir rouler de nouveau ?" Et la réponse est invariablement la même... "Quand vous irez mieux, mais il va falloir être patient" ce qui vous l'avouerez est un pléonasme à ce niveau, car un "patient" est toujours patient par défaut.
Mais en ce qui concerne ma vision de la vie, je trouve qu'elle est juste trop courte pour se perdre en conjectures en tout genre, alors la patience vous m’excuserez Docteur mais je m'en charge et vos comptes ne me conviennent pas, alors le devis va devoir être revu à la baisse au niveau temps. Manque de bol, des complications viennent se mêler à mon affaire et la cicatrisation du moignon va être repoussée de 3 mois!! Mais c'est une éternité trois mois quand tu es à l'hôpital et que tu n'as d'autres choses à faire que de passer le temps en t'occupant au mieux. Muscu, home trainer, re-muscu, apprentissage de la marche, ergo, kiné etc, mais tout ça ne prend pas une journée..et le pire, je crois dans tout ce cirque, aura été de me voir grossir de pratiquement 1 kilo par semaine alors que j'étais suivi par la dièt avec moins de 1500cal par jour. Les médicaments, l'anesthésie, et certainement les 10 mois d'antibiotiques au double du dosage max, ont quelque peu modifiés mon foie et sa capacité à gérer son taf. Quand tu est resté sportif dans la tête, voir ta déchéance en direct, est un cauchemar quotidien et je pèse mes mots. C'est difficile, très difficile, et quand tu rentres chez toi et que des gens te disent "tu n'aurais pas pris du poids ?" d'un ton sarcastique, tu te retiens de les envoyer péter, propre et direct, car ils ne se doutent peut-être pas des sacrifices que tu fais. (enfin, je l'espère)
15 mars. Retour à la maison au lieu de fin avril. Ouf, un mois et demi de gagner. Maintenant, il faut avancer, à ma vitesse. Reprise du vélo sur route et doublement des sacrifices, comme si je préparais les Jeux olympiques, mes Jeux olympiques, ceux du retour à la "normal" même si rien ne sera plus jamais normal. Le vélo est une purge à chaque fois, à chaque sortie, je me dis qu'il faudrait que j'arrête ce cirque, que je fasse comme tout le monde à 50 ans, c'est-à-dire prendre 30 kilos et profiter de la vie. Mais non, je ne me supporterai pas. Par respect pour moi, pour ma femme qui a épousé ce que je suis dans son entier et pas une baleine qui se traîne au quotidien, alors je sers les dents, je regarde mes anciens copains de vélo partir dans les faux plats montant sans que je ne puisse rien y faire si ce n'est que de ravaler mon orgueil et continuer d'avancer, encore et toujours. Il n'y a nulle victoire sans sacrifices, je ne sais pas qui a dit ça, mais il avait foutrement raison.
Le pire dans tout ça, c'est que personne ne se doute de la masse de travail qu'il y a à accomplir pour arriver à un tout petit résultat. Chaque fois que je rencontre quelqu'un que je connais, c'est toujours la même question: "Alors? Ça y est ? Ça va bien maintenant, tu as ta nouvelle prothèse..." C'est comme si tu disais à un cancéreux qui sort de sa 3eme séance de chimio qu'il était guéri. Il y a un moment, il vaut mieux ne rien dire plutôt que de raconter des inepties. C'est complètement débile, mais c'est comme ça. Moi quand je vois mon copain Thomas, je ne lui dis pas qu'il a grossi, c'est déjà bien assez difficile pour lui quand il se regarde dans une glace tout comme moi, alors je lui dis que je suis content de passer un petit moment avec lui et que si je peux faire quelque chose pour l'aider et bien ça sera avec plaisir que je le ferai. Aujourd'hui, la médecine ne prend en charge que ta maladie et tout ce qui va autour ça n'est pas son problème. Tu prends 10, 20, 30 kilos ? Et après ? Tu n'es plus malade, enfin de ce pourquoi tu es venu les voir, mais pour le reste..."Passez donc voir le bureau d'à coté, si si vous verrez, ils sont très bien."
De mon coté, je n'ai plus de problèmes infectieux sur ma jambe, mais pour traiter les douleurs fantômes, il faut prendre des traitements qui te font grossir comme un taureau qui prépare un concours... Mais tu n'es plus malade ! Quand je suivais le traitement antibiotique d'avant l'amputation, j'ai d'abord tourné à 12GR d'Ammoxyciline par jour en IV, puis 8 et enfin 6GR par jour pendant 10 mois!!! 3GR est la dose à ne pas dépasser par jour au risque de flinguer ton foie et c'est d'ailleurs pour cette raison que j'avais une prise de sang tout les 15 jours. Juste pour vérifier que mon foie tenait le choc, du coup, depuis ma sortie de l'hôpital, j'ai tout arrêté !
Alors pour moi, la diététique et le sport sont les maîtres-mots du moment afin de retrouver une forme normale (celle que je voudrais, physique et sportive) afin de me sentir juste bien dans ma peau. Le Tour de la Drôme que je fais cette année encore, est un formidable challenge, pour moi. C'est l'occasion de tenter de reprendre la main sur ma vie, de sportif, de mari, de père et d'homme tout simplement. Mais Dieu que c'est difficile. C'est un combat de chaque instant la journée, sur le vélo, surtout en bosse, car il faut se dire qu'il n'y a qu'une jambe pour le moment plus le poids en trop et c'est un véritable chemin de croix qui se présente au pied de chaque difficulté, mais je vais y arriver, c'est indiscutable. Pas de vélo... pas manger. Si vélo... pas trop manger. Penser au déficit calorique pour maigrir... Mono-diète, pas de sucre, pas de pattes, ouf, c'est une vraie galère, je vous dis. Mais voir ce dont le corps humain est capable est aussi une belle récompense. Pour le moment, après une semaine de Tour de la Drôme, j'en suis à 560KM, car j'ai dû zapper 2 étapes à cause de la prothèse qui ne tient plus. Alors je bricole dans mon coin afin que je puisse continuer encore, car je ne veux pas qu'un problème technique vienne prendre le pas sur mon aventure, mon Koh Lanta. Alors chaque fois que vous venez avec moi, vous me donnez aussi un peu de force, car je me dis qu'au fond, je ne suis pas seul, même si je suis avec mon gamin qui me porte et me supporte jour après jour. Heureusement qu'il est là en tout cas, car sans lui, les kilomètres feraient bien souvent le double... Cette aventure du Tour de la Drôme n'est pas une idée saugrenue qui m'est venu un soir de fiesta, mais bien plutôt une façon de supporter les coureurs du Tour de France et de comprendre leur quotidien. C'est facile de les critiquer du fond de notre fauteuil, mais encore faut-il pouvoir se faire une idée de se qu'ils endurent, par là ou ils passent chaque jour, et c'est ce que j'essaie de transmettre à ma petite échelle... Le vélo, le vent, la chaleur, les pourcentages, l'arrivée... Mais pour moi, chaque jour, c'est comme si j'étais dans l'échappée et au fil des kilomètres les étapes deviennent de plus en plus dures, alors il faut gérer, feinter, savoir s'économiser pour que ça dure dans le temps, pour que ça dure 3 semaines en fait, simplement pour que mon échappée aille au bout...
Cette première semaine aura donc donné : 557km 4758M de déniv 26.75KM/h de moy
Vous voyez qu'il n'y a rien d'exceptionnel en soit, mais par contre tout est possible à qui le veut bien...